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24 février 2009

Je me suis attardé un long moment à regarder les

Je me suis attardé un long moment à regarder les dessins que mon voisin sortait un à un de cartons écornés. Il n’utilisait pour toute couleur que le noir et le rouge. Il y avait là d’extraordinaires portraits d’hommes et de femmes. Les dessins étaient signés Harfang. Je m’arrêtais sur l’un d’eux. On y voyait un couple de dos. Lui portait un chapeau déformé. Un vieux pardessus arrondissait ses épaules voûtées. Le bonhomme traînait un filet à provisions d’où dépassait une baguette de pain. A son bras s’accrochait une petite vieille toute fluette, coiffée d’un béret rouge. Je les reconnus ! Ils passaient chaque jour dans ma rue à petits pas précautionneux. Puis le mois dernier, on le vit seul. Elle était morte. Il la suivit quelques jours plus tard…
   
Impressionné par la qualité de ses croquis, je félicitai le peintre avant de prendre congé. En descendant l’escalier, je rencontrai notre gardien. Je lui fis part de ma visite. Aussitôt, son visage se ferma. Il ne semblait pas apprécier le nouveau locataire. Notre gardien, un tunisien, passait pour une sorte de philosophe. Chaque jour il affichait une pensée d’homme célèbre dans la vitrine réservée aux avis du syndic.
   
Le samedi vers midi, j’avais pour habitude d’aller boire un verre à la Vigne Rouge ; un bar branché, fréquenté par les « bobos » du quartier. Il s’y entassait une foule considérable débordant largement dans la rue avec des assiettes d’huîtres ou de charcuterie. L’intérieur exigu faisait office de galerie où s’exposaient toutes sortes d’œuvres.
   
C’est là que je rencontrai à nouveau Harfang. Un bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles, il s’extirpait de la salle muni de son éternel carnet à dessins.
   
Contournant les tonneaux plantés sur le trottoir, il vint vers moi.
   
Cécile, une amie journaliste qui m’accompagnait s’enthousiasma en découvrant les dernières études de l’artiste. Il avait croqué d’une manière stupéfiante le barman mauricien que nous appelions Doudou.
   
Nous assistâmes alors à une démonstration de virtuose. Par-dessus ses lunettes Harfang se mit à fixer un musicien barbu accoudé au comptoir. Ses yeux n’étaient plus que deux fentes minces. Il resta immobile un long moment puis tourna le dos. Il ouvrit son album. Sa main gauche qui serrait une grosse mine noire se mit danser telle un insecte sur la feuille. Le résultat fut prodigieux !
   
Cécile lui proposa de faire paraître un article dans sa revue dès le mois prochain. Elle convint d’un rendez-vous où elle serait accompagnée d’un photographe. Je rentrai chez moi l’esprit troublé sans en deviner la raison.
   
Tard dans la soirée ayant tapé plusieurs pages dont j’étais satisfait, je me servis un verre de whisky. Puis mes pensées s’orientèrent vers l’artiste d’en face. Brusquement je compris ce qui suscitait en moi une sorte de malaise ! Parmi les dessins qu’il avait montrés, figuraient deux femmes du quartier que je connaissais de vue. Ces femmes dont la plus âgée devait atteindre à peine la cinquantaine étaient toutes deux décédées récemment.
   
Je mis cette réflexion sur le compte d’une imagination excessive influencée par la morosité de ce mois de novembre.
   
Il y a deux jours, Cécile est passée en coup de vent pour m’annoncer qu’un grand article sur Harfang allait paraître dans une quinzaine. Elle prétend que c’est un génie et m’a montré un portrait d’elle exécuté lors du reportage.
   
Cette nuit, je me tiens accoudé à la fenêtre. En face la silhouette du peintre se devine à travers le store baissé. Harfang doit tracer les contours d’un visage…
   
J’ai appris ce matin que Doudou s’était suicidé.

                                                                                              FIN

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