Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
ecrits en ligne
ecrits en ligne
Publicité
Derniers commentaires
8 juillet 2009

Julien Trentesou ou les réflexions d’un citoyen

Julien Trentesou ou les

réflexions d’un citoyen ordinaire

Vendredi

                       - Comment allons-nous ce matin monsieur Chabernau ?
C’est là-dessus que commence la journée. Je viens d’ouvrir ma petite boutique, mon échoppe si vous préférez. Monsieur Chabernau lui, il sort de l’immeuble sa serviette à la main. Je me tiens sur le pas de ma porte, il vient me serrer la main. On cause un petit moment du temps et des évènements.
Moi, je suis cordonnier. J’me suis établi dans une petite rue du douzième arrondissement. Vous voulez savoir si c’est un travail qui rapporte, je vous mets tout de suite au parfum : c’est un métier où l’on vit petit petit. Il y a de la concurrence jusque dans le métro ! Sans parler de ceux qui circulent en baskets…
On est obligé de faire un peu de tout : des clés, des cartes de visite, des tampons, des plaques gravées, de la plastification…
On fait de moins en moins ressemeler ! Les jeunes filles mettent des godillots. Entre parenthèses c’était le nom d’un fabricant de chaussures du dix neuvième siècle, un certain Alexis Godillot.
Bref, une fois payés le loyer et les taxes, il ne reste pas grand-chose. Enfin peut-être que ce pas grand-chose c’est encore beaucoup par rapport à d’autres… je pense au bonhomme que j’appelle le  « polonais ». Par tous les temps je l’aperçois au petit matin qui remballe son lit : des cartons étalés sur le muret devant la vitrine de la société des caisses de retraite.
Pour en revenir à monsieur Chabernau, c’est un homme très intelligent. De temps en temps, on cause un bon moment et j’apprends des choses. Son métier ? Tout ce que je sais c’est qu’il travaille dans un bureau du côté de la défense.

 L’autre jour, il était venu acheter une paire de lacets. Le voila qui laisse tomber sa monnaie….

- Attention ça ne pousse pas, comme on dit !

- Erreur, mon ami ça pousse ! On appelle ça du produit financier.

 Il y a des jours où je ne vois personne. Les jours de « pont » par exemple. S’il fait beau je reste un peu à discuter avec l’un où l’autre. Ma boutique doit faire quelque chose comme neuf mètres carrés. Le long du mur il y a les machines « en leasing », au fond, les étagères où je pose les paires de chaussures.

 J’ai arrangé la vitrine avec des affiches, des piles de boîtes de crème pour le cuir, une panoplie de porte-clés… il y a aussi un vieil automate qui servait de réclame pour une marque de mocassins : un indien qui tape sur un tam-tam.

 Comment j’en suis venu à faire le cordonnier ? Peut-être que je tiens ça de mon grand père. Il tenait une échoppe voisine d’un bougnat rue de Montreuil. Je ne l’ai pas connu mais à ce qu’il paraît, il tenait des réunions dans sa boutique avec les gens du quartier. Une sorte de philosophe quoi…

 A dix sept ans, j’ai été embauché comme apprenti chez un bottier. Au début le métier me rebutait un peu. Par la suite je m’y suis vraiment intéressé. Sans me vanter, au bout d’un an je faisais la pige au patron ! Monsieur Chabernau prétend que les gens se jugent à leurs chaussures. Il trouve dommage que les cireurs des rues aient disparus, que ça n’était pas plus bête que de ramasser des crottes de chiens avec des motos ! L’autre jour il a dit :

 - La terre est une île sphérique dont les distances se raccourcissent constamment entre autres avec le Web…

 - Je vous demande pardon mais c’est quoi le Web ?

 - Cela signifie « toile d’araignée », un moyen de communication planétaire.

 Cela m’a semblé bizarre d’imaginer la terre recouverte d’une toile d’araignée.

 - Vous dites que les distances diminuent, c’est peut-être aussi une question d’âge. Tenez, quand je vois passer la vieille madame Bioux qui marche si péniblement, je crois qu’elle pense que les distances s’allongent ! Monsieur Chabernau m’a tapé sur l’épaule en rigolant :

  - Mon cher, vous êtes un humoriste !

Les jours de pluie, je ne fais pas recette. Il m’est arrivé de ne voir qu’un client dans une journée.Sur un mur, j’ai affiché un dessin du gamin « un panda qui fait du roller ».Vous voyez ce que je trouve moche c’est tous ces films violents qui passent maintenant. Sur les affiches de cinéma vous voyez toujours un type qui brandit un flingue ! Certains prétendent que ça n’a pas d’influence, que ça serait comme une soupape qui permettrait d’évacuer l’agressivité… Ah bon ! Alors pourquoi est-ce qu’on fait des affiches pour vendre du café, une bagnole où encore la bouille rigolarde d’un homme politique ? Si ça ne sert pas à influencer, alors c’est de l’argent foutu en l’air… Non ?

En parlant des hommes politiques, monsieur Chabernau prétend qu’un ministre qui rigole c’est qu’il a pas bien conscience des problèmes qu’il a sur les reins. Si ça ne l’empêche pas de dormir c’est que l’on a du souci à se faire pour notre avenir. C’est peut-être un peu poussé parce que quand même il faut croire qu’ils sont très intelligents ! La preuve : vous prenez un ouvrier spécialisé, bon, on l’embauche pour travailler dans sa spécialité, pas pour autre chose où il ne serait pas compétent. Et bien un ministre, il peut s’occuper de l’enseignement ou du commerce ou de la santé… Il est comme qui dirait polyvalent. Cà prouve bien qu’ils sont plus capables que les autres… Non ?

Heureusement, j’ai une nature à prendre les choses du bon côté. Ma femme, elle, faut toujours qu’elle se fasse du mauvais sang pour un oui pour un non. Un sacré petit bout de femme. Elle va sur ses trente et un an,ce qui fait presque vingt balais d’écart entre nous. En fait pour dire la franche vérité elle avait eu ce mouflet avec un propre à rien qui a fait sa valise dès qu’il a su qu’elle était enceinte.

Mais depuis le temps que l’on se cause il est temps que je me présente : Julien Trentesou, cordonnier de son état !

C’est vrai que tout change …un exemple : sur la place il y a un petit bistrot où je vais boire une Blanche de Bruges le samedi matin sur le coup des onze heures. Et bien c’est foutu ! Maintenant on y tient des conférences philosophiques ! Il y a du monde jusque sur le trottoir où l’on entend rien de ce qui se dit dedans… Monsieur Chabernau dit qu’il y a là un maître penseur ?

Des gens de tous âges viennent discuter. De quoi ? De choses importantes puisque c’est passé à la télé. Des questions du genre : qu’est-ce qu’on fait là, où est-ce qu’on va … Moi, c’est simple, je suis cordonnier et je suis venu pour boire un coup, si vous permettez m’sieursdames !

Samedi
C’vikenne, j’ai réveillé le môme à cinq heures du matin !
- Ohé fiston …tu n’as pas oublié qu’on allait à la pêche…
Francesca avait déjà préparé le petit déjeuner. Elle a sorti un gros pull pour le gamin. C’était marrant de le voir les cheveux dressés sur la tête, l’air tout ahuri.
On a ramassé les gaules dans le garage. Francesca m’a tendu la musette. Je l’ai taquinée :
- Tu n’as pas oublié le quart de rouge des fois ? Figure-toi qu’un collègue pêcheur a divorcé. Tu sais pourquoi ? Arrivé sur son coin, il s’est aperçu que sa bourgeoise n’avait pas garni la musette !
Nous voila partis pour Champs-sur-Marne. Un grand étang où on est pépère : il y a du poisson et pas trop de concurrents. Marcel, le gardien est un pote, enfin quoi on y est les rois du pétrole !
Justement, le voila qui sort de sa guitoune, il nous fait signe de la main, la bouille fendue d’un grand sourire:
- L’poisson vous pas attendus ! Faudrait voir à s’lever plus tôt !
De fait, des confrères sont déjà installés sur les berges, s’agirait pas d’aller tremper le bouchon là où ils ont amorcé.
On emboîte les gaules…
- Fredo, installe-toi un peu plus loin, qu’on aille pas emberlificoter nos lignes. Surtout qu’on est monté fin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité