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9 octobre 2009

Réflexions sur la création picturale Il est

Réflexions sur la création picturale

     Il est remarquable de constater à quel point l’être humain craint le vide. De tous temps il s’est attaché à orner, décorer les surfaces et les espaces. Cela correspond, je pense, à une forme d’angoisse mais aussi au besoin d’apposer une marque. Que ce soit sur un corps, un vêtement, un lieu.

     Le signe chargé de symboles a toujours eu une grande importance, du blason en passant par le drapeau jusqu’au logotype des sociétés.

     Les grands peintres classiques, les impressionnistes, ne seraient-ils que des imagiers ? Des ornementeurs de surface. Les fresques impressionnantes des châteaux et des édifices religieux suscitent une émotion sur le public.

     Certes, il y a de la jouissance à peindre « sur le motif ». La nature vous éblouit et entraîne le peintre non averti a une imitation servile. La peinture à l’huile produit une alchimie magique. Il se crée d’heureux effets parfois de hasard.

    Bien sûr, chez les bons peintres, il se dégage une interprétation et une émotion qui subliment la réalité. Sérénité des natures mortes de Chardin admirablement composées, église d’Auvers-sur-Oise de Van Gogh…

    Toutes choses qui manquent aux simples « faiseurs ».

     En fait la peinture a longtemps tenu un rôle de reportage historique avec la représentation de personnages vivants ou légendaires, de sites, de peuplades.

     Les natures mortes se destinaient à orner les salles à manger bourgeoises, les nus s’accrochant dans les chambres. Les collectionneurs ne sachant plus à la fin où accrocher leurs dernières acquisitions.

     L’illustration est considérée comme un parent pauvre de l’art utilisé à des fins commerciales. Exception faite des affiches de Toulouse Lautrec.

     Hopper qui fit de l’illustration pour subsister y attachait peu d’estime.

     Citons également la bande dessinée pratiquée par d’excellents dessinateurs, mésestimée longtemps par les peintres et qui trouve maintenant une place justifiée parmi l’art pictural.

     La peinture plus ou moins volontairement a été un art décoratif. Comportant bien sûr pour les chefs d’œuvre classiques beaucoup de science, de sentiment, de signification apparente ou cachée. Il y avait là un travail en partie artisanal d’une grande conscience basée sur d’innombrables dessins d’études et une technique picturale expérimentée. Ce qui provoque respect et admiration. Toutefois, on peut trouver plus d’originalité, d’invention et d’émotion dans un croquis hâtif que dans la savante et léchée composition d’un tableau de Bouguereau par exemple. Il faut éviter de s’émerveiller devant des œuvres dont le principal mérite est d’avoir nécessité beaucoup de temps à leur réalisation.

     Pour moi, l’invention de la perspective, en dehors d’études architecturales, est une erreur. J’y ajouterai les représentations du volume. La perspective et le volume (qui sont des trompe-l’œil) trouent la surface plane du support.

     A mon sens, il faut tenir compte du format en deux dimensions sur lequel on travaille et organiser cette surface comme un tout fini. La plupart des œuvres impressionnistes se présentent comme des fenêtres ouvertes ; des parcelles de nature que l’on pourrait prolonger indéfiniment au-delà de la toile.

    Cézanne a pressenti la restriction imposée par le format. Ses valeurs se comportent librement en matière de perspective. Les ciels sont foncés, reprennent les teintes de la végétation afin de maintenir l’unité de la toile et d’éviter le trou. Même réaction lors de la période fauve. Pour arriver à l’abstrait de Kandinsky.

     Picasso ne s’est pas attardé aux figurations classiques que lui permettait sa virtuosité. Il a exercé son art dans de multiples directions avec maîtrise et toujours la marque de sa personnalité. Extraordinaire dessinateur, dont le trait  vivant ne souffre ni ajout ni retrait.

     Pour lui, l’abstrait n’existait pas.

     Il a été dit que la création n’était que la combinaison nouvelle d’éléments déjà existants. Je le crois.

     Les hautes technologies actuelles bouleversent les formes de la création. Les outils se transforment. Le pinceau serait-il devenu désuet ?

     Soulages dit se méfier des outils classiques qui conditionnent par trop la création.

     Depuis Duchamp, l’art a cessé d’être décoratif.

     On parle d’ailleurs d’art contemporain, en fait, il ne s’agit pas d’art mais d’une forme d’expression : dérision, révolte, destruction, produit de l’industrialisation, de récupération,  d’accumulation (les boîtes de soupe Campbell de Warhol, les compressions de César…), d’effets cinétiques, de photo-montages, de mouvements mécaniques…

    Toutes choses qui ne peuvent plus prendre place dans les intérieurs mais nécessitent une exposition dans de grands espaces publics.

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19 juillet 2009

La BNF Tours-miroirs qui boivent l’eau du ciel.

La BNF

   Tours-miroirs qui boivent l’eau du ciel. Pont de bateau démesuré. En contrebas, la Seine bruissante.

   L’ancien viaduc, avec ses arches de pierre écrasées par le bâtiment du ministère des finances a l’apparence d’un modèle réduit incongru.
   Allée Arthur Rimbaud, poète français (1854-1891).

   Les lampadaires droits comme des i, vigiles impassibles. Le drapeau tricolore flotte au mât d’un bateau-école qui remonte le courant. Le bras articulé d’une pelleteuse déverse un sable roux dans la benne turquoise d’un chargeur.

   Au quai, un bateau de mascarade égaré du Mississipi.

   Là-bas, la pointe d’une église noyée parmi les immeubles.

   

Les canards

   

   Sur l’eau, un canard bascule en avant, un autre se frotte la tête, un troisième glisse lentement à coups de palmes. Sur une bande de terre, un mâle  fouille le plumage de son dos. Quelques uns, le cou enfoui, semblent dormir, immobiles sur les tiges orangées de leurs pattes.

Au Père Lachaise

   Une même mousse verdit les arbres et la pierre. Les racines sinuent à la jointure des pavés. Les fers rongés de rouille s’inclinent. Un silence étrange et pesant couvre le paysage chaotique. Les avenues escarpées conduisent à un ciel bas crevé par instants du cri des corbeaux.

Exposition

   La lumière s’éteignit et tous ces merveilleux tableaux ne furent plus que des surfaces de terre grise.

Cannes

   Les palmiers demeurent figés devant les façades endormies. Façades de pâtisserie : vert pistache, crème, blanc meringue.

   Un pigeon unijambiste lâche sa fiente sur la tête de pierre de Lord Brougham.

   Une fille offre ses cuisses vernissées au dieu Râ.

   De la profondeur d’un yacht monte la voix plaintive d’une femme :

« -Chantal, j’entends des horreurs ! ».

8 juillet 2009

Julien Trentesou ou les réflexions d’un citoyen

Julien Trentesou ou les

réflexions d’un citoyen ordinaire

Vendredi

                       - Comment allons-nous ce matin monsieur Chabernau ?
C’est là-dessus que commence la journée. Je viens d’ouvrir ma petite boutique, mon échoppe si vous préférez. Monsieur Chabernau lui, il sort de l’immeuble sa serviette à la main. Je me tiens sur le pas de ma porte, il vient me serrer la main. On cause un petit moment du temps et des évènements.
Moi, je suis cordonnier. J’me suis établi dans une petite rue du douzième arrondissement. Vous voulez savoir si c’est un travail qui rapporte, je vous mets tout de suite au parfum : c’est un métier où l’on vit petit petit. Il y a de la concurrence jusque dans le métro ! Sans parler de ceux qui circulent en baskets…
On est obligé de faire un peu de tout : des clés, des cartes de visite, des tampons, des plaques gravées, de la plastification…
On fait de moins en moins ressemeler ! Les jeunes filles mettent des godillots. Entre parenthèses c’était le nom d’un fabricant de chaussures du dix neuvième siècle, un certain Alexis Godillot.
Bref, une fois payés le loyer et les taxes, il ne reste pas grand-chose. Enfin peut-être que ce pas grand-chose c’est encore beaucoup par rapport à d’autres… je pense au bonhomme que j’appelle le  « polonais ». Par tous les temps je l’aperçois au petit matin qui remballe son lit : des cartons étalés sur le muret devant la vitrine de la société des caisses de retraite.
Pour en revenir à monsieur Chabernau, c’est un homme très intelligent. De temps en temps, on cause un bon moment et j’apprends des choses. Son métier ? Tout ce que je sais c’est qu’il travaille dans un bureau du côté de la défense.

 L’autre jour, il était venu acheter une paire de lacets. Le voila qui laisse tomber sa monnaie….

- Attention ça ne pousse pas, comme on dit !

- Erreur, mon ami ça pousse ! On appelle ça du produit financier.

 Il y a des jours où je ne vois personne. Les jours de « pont » par exemple. S’il fait beau je reste un peu à discuter avec l’un où l’autre. Ma boutique doit faire quelque chose comme neuf mètres carrés. Le long du mur il y a les machines « en leasing », au fond, les étagères où je pose les paires de chaussures.

 J’ai arrangé la vitrine avec des affiches, des piles de boîtes de crème pour le cuir, une panoplie de porte-clés… il y a aussi un vieil automate qui servait de réclame pour une marque de mocassins : un indien qui tape sur un tam-tam.

 Comment j’en suis venu à faire le cordonnier ? Peut-être que je tiens ça de mon grand père. Il tenait une échoppe voisine d’un bougnat rue de Montreuil. Je ne l’ai pas connu mais à ce qu’il paraît, il tenait des réunions dans sa boutique avec les gens du quartier. Une sorte de philosophe quoi…

 A dix sept ans, j’ai été embauché comme apprenti chez un bottier. Au début le métier me rebutait un peu. Par la suite je m’y suis vraiment intéressé. Sans me vanter, au bout d’un an je faisais la pige au patron ! Monsieur Chabernau prétend que les gens se jugent à leurs chaussures. Il trouve dommage que les cireurs des rues aient disparus, que ça n’était pas plus bête que de ramasser des crottes de chiens avec des motos ! L’autre jour il a dit :

 - La terre est une île sphérique dont les distances se raccourcissent constamment entre autres avec le Web…

 - Je vous demande pardon mais c’est quoi le Web ?

 - Cela signifie « toile d’araignée », un moyen de communication planétaire.

 Cela m’a semblé bizarre d’imaginer la terre recouverte d’une toile d’araignée.

 - Vous dites que les distances diminuent, c’est peut-être aussi une question d’âge. Tenez, quand je vois passer la vieille madame Bioux qui marche si péniblement, je crois qu’elle pense que les distances s’allongent ! Monsieur Chabernau m’a tapé sur l’épaule en rigolant :

  - Mon cher, vous êtes un humoriste !

Les jours de pluie, je ne fais pas recette. Il m’est arrivé de ne voir qu’un client dans une journée.Sur un mur, j’ai affiché un dessin du gamin « un panda qui fait du roller ».Vous voyez ce que je trouve moche c’est tous ces films violents qui passent maintenant. Sur les affiches de cinéma vous voyez toujours un type qui brandit un flingue ! Certains prétendent que ça n’a pas d’influence, que ça serait comme une soupape qui permettrait d’évacuer l’agressivité… Ah bon ! Alors pourquoi est-ce qu’on fait des affiches pour vendre du café, une bagnole où encore la bouille rigolarde d’un homme politique ? Si ça ne sert pas à influencer, alors c’est de l’argent foutu en l’air… Non ?

En parlant des hommes politiques, monsieur Chabernau prétend qu’un ministre qui rigole c’est qu’il a pas bien conscience des problèmes qu’il a sur les reins. Si ça ne l’empêche pas de dormir c’est que l’on a du souci à se faire pour notre avenir. C’est peut-être un peu poussé parce que quand même il faut croire qu’ils sont très intelligents ! La preuve : vous prenez un ouvrier spécialisé, bon, on l’embauche pour travailler dans sa spécialité, pas pour autre chose où il ne serait pas compétent. Et bien un ministre, il peut s’occuper de l’enseignement ou du commerce ou de la santé… Il est comme qui dirait polyvalent. Cà prouve bien qu’ils sont plus capables que les autres… Non ?

Heureusement, j’ai une nature à prendre les choses du bon côté. Ma femme, elle, faut toujours qu’elle se fasse du mauvais sang pour un oui pour un non. Un sacré petit bout de femme. Elle va sur ses trente et un an,ce qui fait presque vingt balais d’écart entre nous. En fait pour dire la franche vérité elle avait eu ce mouflet avec un propre à rien qui a fait sa valise dès qu’il a su qu’elle était enceinte.

Mais depuis le temps que l’on se cause il est temps que je me présente : Julien Trentesou, cordonnier de son état !

C’est vrai que tout change …un exemple : sur la place il y a un petit bistrot où je vais boire une Blanche de Bruges le samedi matin sur le coup des onze heures. Et bien c’est foutu ! Maintenant on y tient des conférences philosophiques ! Il y a du monde jusque sur le trottoir où l’on entend rien de ce qui se dit dedans… Monsieur Chabernau dit qu’il y a là un maître penseur ?

Des gens de tous âges viennent discuter. De quoi ? De choses importantes puisque c’est passé à la télé. Des questions du genre : qu’est-ce qu’on fait là, où est-ce qu’on va … Moi, c’est simple, je suis cordonnier et je suis venu pour boire un coup, si vous permettez m’sieursdames !

Samedi
C’vikenne, j’ai réveillé le môme à cinq heures du matin !
- Ohé fiston …tu n’as pas oublié qu’on allait à la pêche…
Francesca avait déjà préparé le petit déjeuner. Elle a sorti un gros pull pour le gamin. C’était marrant de le voir les cheveux dressés sur la tête, l’air tout ahuri.
On a ramassé les gaules dans le garage. Francesca m’a tendu la musette. Je l’ai taquinée :
- Tu n’as pas oublié le quart de rouge des fois ? Figure-toi qu’un collègue pêcheur a divorcé. Tu sais pourquoi ? Arrivé sur son coin, il s’est aperçu que sa bourgeoise n’avait pas garni la musette !
Nous voila partis pour Champs-sur-Marne. Un grand étang où on est pépère : il y a du poisson et pas trop de concurrents. Marcel, le gardien est un pote, enfin quoi on y est les rois du pétrole !
Justement, le voila qui sort de sa guitoune, il nous fait signe de la main, la bouille fendue d’un grand sourire:
- L’poisson vous pas attendus ! Faudrait voir à s’lever plus tôt !
De fait, des confrères sont déjà installés sur les berges, s’agirait pas d’aller tremper le bouchon là où ils ont amorcé.
On emboîte les gaules…
- Fredo, installe-toi un peu plus loin, qu’on aille pas emberlificoter nos lignes. Surtout qu’on est monté fin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

1 juillet 2009

Le Lord des Abeilles Le major W-H Appleby

Le Lord des Abeilles

   Le major W-H Appleby marchait à longues enjambées de son allure un peu raide. Ce matin de début avril annonçait une belle journée. Un vent frais venant de l’est taquinait les fanions des bateaux de plaisance ancrés dans le port de Swansea. Les pêcheurs rinçaient leurs casiers. Au loin la falaise crayeuse émergeait de la brume. Les mouettes glissaient en courbes criardes sur le ciel pâle. L’air vif ravivait le teint déjà coloré du major.

   Peu à peu la ville s’animait : Monsieur Kirkwood levait le store de sa quincaillerie, le capitaine Sprot promenait son colley, madame Briggs alignait des cakes dans sa vitrine. Elle sourit à Appleby en agitant la main.

   Tournant le dos à la mer, le major s’engagea dans Princess way. Le bâtiment d’époque victorienne se dressait à l’angle. Le vieux Dick, chiffon en main, fourbissait l’un des deux lions de bronze montant la garde de part et d’autre de l’escalier extérieur. Comme chaque matin, à neuf heure trente précises, le major franchissait le seuil de « Bartle & Bogusby » la plus importante compagnie d’assurance du comté.

   Le grand bureau respirait l’ordre et la propreté. Le cuir patiné des sièges, les hautes bibliothèquesd’acajou, le cuivre et l’opaline des lampes créaient une atmosphère de quiétude hors du temps.

   Le major Appleby rangea soigneusement son chapeau et son imperméable. Il alla déposer un petit sac en papier sur un bureau au fond de la salle et se frotta les mains avant de s’installer à sa place. D’un tiroir, il tira un épais dossier et commença à en feuilleter les pages surchargées de notes et de paraphes.

   Le vieux Dick apporta le courrier du matin.

   - Merci Dicky. Comment va votre épouse ce matin ?

   - Beaucoup mieux, merci monsieur ! Ce n’était qu’un mauvais coup de froid.

   - Prenez grand soin d’elle. C’est une perle !

   - Ma foi monsieur,  je suis de votre avis !

   Haut de taille et doté d’une robuste constitution le major entamait sa cinquante septième année. Le visage maigre aux pommettes vermillonnées, des yeux gris-bleu pétillants d’intelligence malicieuse, des cheveux argentés, tout cela lui donnait un air courtois et enjoué.

   Il vivait seul dans un petit cottage au nord de Swansea. Sur l’arrière, bordant un minuscule cours d’eau, s’allongeait un jardin soigné. Le long d’une haie s’alignaient cinq ruches en bois clair.

…..

   Appleby leva les  yeux, le cadran de la vénérable horloge marquait neuf heures vingt. Les autres employés n’allaient plus tarder…

   Elmer Bubbs fut le premier arrivé. Après avoir salué le major, il installa sa grande carcasse voûtée dans un fauteuil au bois lustré par l’usage. Avec Appleby, il était un des anciens à avoir connu l’associé w-j Bartle. Homme avisé qui à l’époque avait su profiter du développement apporté à la région par les industriels du traitement des métaux implantés le long de la Tawe. Forcené de travail, il fut terrassé par un infarctus, laissant l’entreprise aux mains de son associé.

   Bientôt la totalité du personnel se trouva à son poste. Bobby précéda miss Olivia qui  arriva toute essoufflée. Petite et ronde, elle arborait des chapeaux extraordinaires. Affligée d’une forte myopie elle portait des lunettes à monture rose. Elle s’étonna du sac en papier posé sur son bureau. Il contenait un petit pot de miel à la couleur ambrée.

   - Oh ! Major Appleby c’est trop gentil à vous…

   - Ce n’est rien Olivia… vous aimerez son parfum. Cela provient de ma dernière récolte.

   Dans la salle régna bientôt un silence studieux troublé un instant par le passage parfumé de Déborah, la blonde secrétaire de direction.

   Il y eut également Bubbs qui lança : - Nous aurons de la pluie ce soir…

   Le directeur entra brusquement. Court et trapu, Bogusby était d’un caractère brutal. Prompt à s’emporter et ne s’embarrassant pas de formules courtoises. Une large face couperosée au front buté avec des petits yeux gris-vert surmontés d’épais sourcils.

   - Miss Déborah apportez moi le dossier de la Lloyds ! Jeta-t-il en passant - et fermez votre porte !

   - Nous allons avoir de l’orage ! Ironisa Bobby.

   Quelques minutes plus tard, miss déborah sortait  du bureau présidentiel. De sa voix flutée elle annonça :

   - Olivia, Monsieur Bogusby désire vous voir…

   - Moi ?... Bégaya Olivia … mais certainement.

   Elle se leva avec empressement.

   Le major Appleby la suivit du regard par-dessus ses lunettes. Il émanait d’Olivia quelque chose de pathétique. Ce matin-là elle arborait une extravagante robe à fleurs à grand col festonné.

   Des éclats de voix percèrent en dépit du capitonnage. Elle sortit du bureau, le visage rougi, les mains crispées sur la poitrine. Elle retourna s’asseoir à sa place, posa ses bras potelés devant elle et éclata en sanglots.

   Bobby alla s’asseoir auprès d’elle pour tenter de la consoler. Elle finit par tamponner ses yeux avec un mouchoir et dit : - Merci Bobby, vous êtes gentil…

   La matinée s’écoula sans autre incident. Elmer Bubbs grommela comme il en avait l’habitude en portant des annotations en marge des contrats. Miss Déborah passa le dernier quart d’heure avant la pose déjeuner à se vernir les ongles. Le Major emmena Olivia dans un salon de thé proche de St Mary Church.

   Ils parlèrent de jardinage et des aménagements en cours dans la cité. Le centre serait transformé. Seul subsisteraient les vestiges du château que fit bâtir l’évêque Grower au quatorzième siècle.

   - Savez-vous Major ! Ma cousine Elizabeth m’a envoyé une belle édition des « Eighteen Poems » de Dylan Thomas.

   - Thomas était un grand poète, un funambule qui a traversé l’existence sur un fil tendu aux limites de la folie.

   Une statue dans le quartier sud des docks perpétue sa mémoire.

   - Ce week-end, samedi après-midi pour être précis, ajouta Appleby, je compte enfourcher ma bicyclette. Si je poussais jusqu’à Phossili ?... Y serez-vous Olivia ?

   - Mais oui monsieur Appleby. Quelle bonne idée !Votre visite me fera grand plaisir !

                                                                              

   Les derniers jours de la semaine, bien que laborieux s’écoulèrent sans fait notable. Miss Déborah qui disait-on recevait les hommages assidus d’un Lord arborait de somptueuses boucles d’oreilles ornées d’émeraudes. Monsieur Bogusby sur la piste d’un énorme contrat se montra presque aimable.

   La nuit de vendredi, une tempête rageuse poussa des coups de boutoir sur la côte. Un vent brutal souffla sur la tour de GuildHall et mit à mal quelques bateaux arrimés trop légèrement.

   Le lendemain matin les démons déchaînés avaient disparus. Le temps redevenu clair et lumineux amenait des senteurs du large.

   Le Major, levé tôt, visita ses ruches et répara la clôture. Vers quinze heures, il sortit en  bicyclette. Aucun des chemins de la péninsule ne lui était inconnu. Il roulait à paisible allure avec une régularité machinale. Phossili, un petit village au charme désuet se situait sur la pointe ouest : quelques maisons moussues entourées de collines vertes bordant une côte découpée.

   Appleby aperçut de loin la silhouette d’Olivia courbée sur sa haie. de l’ample casquette irlandaise. Le Major fit tinter la sonnette de sa bicyclette.

   - Hello Major ! Je suis heureuse de vous voir ! Elle glissa le sécateur dans la poche de son tablier et ouvrit le portail bas.

   - Bonjour Olivia. En vous voyant là, il m’est revenu en mémoire cette scène de Dickens…lorsque le jeune Copperfield errant et affamé arrive devant la clôture du jardin de la tante Betsy qui est occupée à tailler ses rosiers.

   A la vue du gamin dépenaillé, elle crie en agitant les bras : « - Allez-vous en ! ». Le gamin lui dit alors : « - Ma tante, je suis votre neveu David ». Et qu’alors, de saisissement, la vieille dame s’assoit par terre.

   - Oui, cette scène est très émouvante et j’adore aussi le personnage de monsieur Dick…

   

   A chacune de ses visites, le Appleby admirait le jardin d’Olivia. De petites dimensions, il s’étendait derrière le cottage. On y accédait par un tunnel de vigne pourpre.

   A l’intérieur, une lumière irisée filtrait par les croisées étroites où s’alignaient une multitude de plantes en pots. Un gros chat noir et blanc dormait sur le canapé à fleurs. La pièce principale au plafond bas traversé de poutres bleues cendrées s’étirait en profondeur. Les livres s’amoncelaient en désordre sur les étagères. Près de la pendule ancienne, se voyait dans un cadre patiné un pur-sang peint dans la pénombre d’une écurie.

   Avec le thé, Olivia servit un cake confectionné le matin même. Ensuite, ils jouèrent une partie de backgammon. Le Major, excellent stratège gagna. Il disputait avec succès des tournois de bridge dans la City. La conversation porta sur la littérature, les fleurs, les jolies illustrations pour enfants de Kate Greeneway.

   Une voisine vint apporter des œufs frais en même temps que les derniers potins du village.

   Le ciel avait pris une teinte violacée. Le Major prit alors congé d’Olivia. Il ferma haut son Barbour car une bruine commençait à faire briller les toitures. Il reprit le chemin du bord de mer à lents coups de pédale.

                                                                           

   Dans la semaine qui suivit, la firme connut une intense activité. Miss Déborah piqua une crise de nerfs. Bobby courtisa la douce Evelyn. Olivia eut droit à de sévères réprimandes totalement injustifiées. Monsieur Bogusby se montra d’une humeur de dogue à cause d’un client qui intentait un procès.

   Le jeudi matin survint un incident tragi-comique : « - Appleby, venez voir ! C’est effrayant ! » Bogusby venait d’ouvrir brutalement sa porte, mi furieux, mi apeuré. Le Major se leva sans hâte et entra dans le bureau de Bogusby. Dans l’embrasure de l’une des fenêtres  ouverte, tournoyait une pelote dorée et bourdonnante.

   - Des frelons, n’est-ce pas ?  Bégaya Bogusby, derrière le Major.

   - Non, des abeilles.

   Mentalement, il estima que l’essaim en comptait plus de cinq cents .

   Il marcha tranquillement vers elles, contempla un moment ce nuage effervescent. En quelques secondes, les vibrations perdirent de leur intensité. L’essaim s’effilocha puis se fondit dans le gris léger du ciel. Appleby ferma doucement la fenêtre.

   - Maudits insectes ! Jura Bogusby, honteux d’avoir montré sa frayeur devant le personnel.

   Le véritable drame se produisit à la fin du mois. Olivia paraissait triste depuis quelque temps. Elle n’arborait plus ces robes aux luxuriantes impressions. Tous en étaient affectés et tentèrent en vain de la distraire. Le Major, lui, avait dû se rendre à Leeds pour assister à un congrès.

   Bogusby se mit en rage un matin et fit voler les dossiers empilés sur la table d’Olivia en hurlant : « - Mais à quoi servez-vous dans cette maison ? ».

   Elle ne versa pas une larme. Elle écrivit une lettre de démission quelle laissa sur son bureau, prit ses affaires et partit sans que ses collègues consternés puissent la retenir ni obtenir un mot.

   Le lendemain matin, une voix inconnue téléphona, demandant à parler au Major Appleby.

Bobby prit la communication. L’appel venait du facteur de Phossili. Quand Bobby raccrocha, son visage avait la couleur de la craie.

Il murmura «  - Grands Dieux est-ce possible… ».

   - Et bien quoi, que se passe-t-il ? Interrogea Bubbs.

   - Olivia…pendue. On l’a trouvée pendue !

   De grosses larmes roulaient le long de ses joues. Evelyn poussa un cri et vint se blottir dans ses bras.

   Sous le coup de la terrible nouvelle, toute activité cessa.

   Bogusby, en voyage d’affaires, n’apprit le drame que le lendemain matin. Levant les bras, à la fois embarrassé et effaré, il répéta par deux fois : « - Non, mais quelle folie ! ».

   Le Major rentra de Leeds tard dans la nuit. Il trouva une lettre d’Olivia dans sa boîte. Sa lecture lui infligea un grand choc. Le papier lui glissa des mains.

   C’était une missive de quelques lignes où elle s’excusait de quitter ainsi ses amis et qui se terminait par ces mots: « Cher Major Appleby voudriez-vous avoir la gentillesse de vous occuper de Gengis Khan ? Ne soyez pas désolé à mon sujet. Voyez-vous, je n’ai jamais eu les aptitudes pour réussir à vivre dans ce monde. Merci pour votre si fidèle et si chère amitié.   Votre reconnaissante Olivia. ».   

   

    

   Le service funèbre eut lieu le samedi. Une grande partie des habitants de Phossili se joignit aux employés de Bartle & Bogusby. Le directeur était absent sous prétexte d’un déplacement impossible à ajourner. Après l’office, le convoi s’achemina vers le petit cimetière juché sur une colline. L’air était doux, le ciel ensoleillé, la lande étalait sa verdeur où broutaient des brebis.

   Le premier jour de juin, miss Déborah qui travaillait dans le bureau directorial en sortit affolée.

   - Appelez un docteur, vite ! Monsieur Bogusby s’étouffe !

   Appleby et bob trouvèrent Bogusby dans son fauteuil, la tête renversée en arrière, la face congestionnée, les yeux exhorbités. Sa main droite grattait sa nuque avec frénésie. Sa bouche grande ouverte aspirait l’air en râles sifflants. Il eut un sursaut puisse raidit. Son oreille prit une teinte lie de vin.

   Appleby s’approcha du fauteuil. Il mit la main dans l’encolure de Bogusby. Le cœur avait cessé de battre. Le Major ferma les yeux agrandis de terreur. Il tenait quelque chose dans la paume de sa main.

   Le vieux Dick accourut :

   - Major, que se passe-t-il ?

   Appleby ouvrit la main, découvrant une petite boule dorée qui frémissait doucement puis devint immobile.

   - Une simple abeille, répondit-il en se dirigeant vers le téléphone.

21 mars 2009

Ce samedi, dans le milieu de la matinée, Simone

   Ce samedi, dans le milieu de la matinée, Simone entrebâilla sa porte pour laisser sortir le chat : «- Allez Puce ! Vas faire un tour ! ». Le chat, un chartreux aux yeux d’or, s’étira, griffant le paillasson. Brusquement il s’immobilisa, oreilles dressées. La porte du nouveau voisin s’ouvrit. Il apparut drapé dans une robe de chambre écarlate. Le chat avança vers lui, arrondit le dos et commença à ronronner.

   - Permettez-moi de me présenter chère madame… signor Antonio Vanini. Très heureux de faire votre connaissance !

   - Heu… Simone Biard, enchantée…

   - Ma ! Chère madame Biard, il me ferait plaisir de vous offrir un café. Si vous voulez excuser ma tenue !

   - C’est que je le bois très léger…, commença Simone.

   - Et bien il sera à votre préférence, moi, je le prends très fort !

    A la fois défiante et curieuse Simone hésitait. Vanini eut un large geste d’invite qui la décida.

   - Accommodez-vous per favore. Il avança un fauteuil près d’une petite table ronde. Puce, hardiment, visitait déjà les lieux. Une bibliothèque regorgeait de reliures. De nombreuses photographies encadrées pavoisaient les murs. Avec cérémonial, Vanini apporta un plateau nimbé d’une bonne odeur de café chaud.

   - Permettez que je vous serve…

   - Merci monsieur Varini..

   - Pas Varini, Vanini, à votre service !

   Tout à coup, Simone sursauta. Un cri rauque avait jailli d’un coin du salon.

   - Ne craignez rien madame, c’est seulement monsieur Toto qui vous salue !

   Le chat bondit sur les genoux de sa maîtresse. Le perroquet sur son perchoir se dandinait d’une patte sur l’autre. Il finit par leur tourner le dos.

   Simone finissant par se sentir à l’aise buvait son café à petites gorgées.

   - Sans vouloir être indiscrète monsieur Vanini, en quoi consiste votre métier ?

   - Chère madame, je suis un illousionniste ! Un prestidigitateur !

   - Comment vous est venu la vocation ?

   - Voilà : quand j’avis huit ans, nous habitions Alzano, un petit village près de Bergamo.

   - Une nuit, je suis allé sur la place vider un paquet de lessive dans la fontaine. La mousse a monté, monté et débordé. Elle a couvert la place jusqu’aux murs des maisons. Un mauvais camarade est allé me dénoncer aux carabiniers. La punition c’était de ranger toute la bibliothèque du juge. Des centaines de livres ! Par hasard un livre de magie m’est venu dans les mains. Je l’ai emporté et lu la nuit en cachette ! Ce jour-là, j’ai décidé de mon futur métier. Et voila, à quinze ans, j’ai réussi à me faire engager par un magicien. Que cet homme-là il m’a tout appris ! A propos, madame Biard, vous connaissez Salvador Dali ?

   - Heu non… attendez çà ne serait pas celui qui fait de la publicité pour du chocolat 

   - Mais si ! Figurez-vous que ce bonhomme a prétendu que la gare de Perpignan était le centre du monde ! Et bien entre nous, madame Biard, il s’est trompé ! Le centre du monde c’est la gare de Lyon !

   Simone enchanté de son voisin, regagna son logis en chassant Puce devant elle.

…..

   Un vent aigre jetait des aiguilles aux visages rougis. Marcelle s’était engouffrée dans la tiédeur de leur brasserie habituelle. A travers la vitre, elle vit Antoinette qui se hâtait pour la rejoindre.

   - Assieds-toi ma chère ! Tu veux un café ?

   - Oui, j’suis toute engourdie ! Mais teu sais pas la dernière !... m’est arrivé une drôme d’histoire ! Teu vas pas vouloir le croire : on a voulu m’violer !

   Marcelle écarquilla les yeux.

   - Non ! Tu me fais marcher !

   - Pisque j’te l’dit ! Se fâcha presque Antoinette.

  - Hier après-midi, j’étais dans ma loge en train d’coudre assise sur mon lit. Voila quelqu’un qui cogne au carreau. Entrez que j’fait !

   C’était un bonhomme que j’avais jamais vu…

   - Un vieux ?

   - Mais non. Un jeune dans les vingt-cinq ans !

   - Ah bon ! Et alors ?

   - J’ai d’mandé c’qui voulait ! Y m’répond : - Je suis venu vous souhaiter une bonne fin d’année ! ». Ca m’a étonné vu que j’le connaissais pas. Voila qui m’dit : - Je peux vous faire la bise ? ». Bon, pourquoi pas ? J’suis pas bégeule !

   Alors, il fait : « - On pourrait pas aller un peu plus loin ? ». Sur le coup, j’réponds : – ben où que c’est qu’vous voulez aller ? Y m’répond : - On pourrait faire l’amour ».
   - Le dégoûtant ! S’exclama Marcelle.
   - J’me suis foutue en pétard ! j’ai crié, espèce de saligaud Teu vas m’foutre le camp teu d’suite ! J’tenais mes ciseaux en l’air, prête a y en fiche un coup dans l’ventre !

   Il a pas d’mandé son reste j’te prie de croire !

   - Ca alors ! Tout de même ! Répéta Marcelle estomaquée en dévisageant sa copine. Soudain une pensée lui vint à l’esprit.

   - Mais tu te rends compte ma vielle, si il t’avait sauté dessus et tu lui ais donné un coup de  ciseaux et qu’il soit mort !... La police aurait jamais voulu te croire…

   Antoinette prit un air mi figue mi raisin. Le garçon qui passait à ce moment-là, chargé d’un plateau, eut le malheur de renverser le sac à provision posé par terre.

   - Teu peux pas faire attention andouille mal ficelée !

…..

   Dans quelques jours ce sera Noël ! Les guirlandes étoilées zigzaguent entre les façades. Un évènement important se préparait. Marcelle allait avoir soixante quinze ans. Il fût décidé qu’un banquet aurait lieu à « La Biche au Bois ». L’imposante Julienne se trouverait du nombre. Monsieur Vanini y avait été chaleureusement convié ainsi que trois vieux amis du quartier.

…..

   Une grande table leur avait été réservée. L’aimable patron offrit spontanément une bouteille de champagne. Les coupes tintèrent. Au diable les régimes et les résultats d’analyses ! Marcelle arborait un col à grandes pointes de dentelle.

   Simone, arrivée la première, avait caché le cadeau sous la banquette.

   Les joues commencèrent à rosir. Elles sont gaies, elles rient. Le passé dort dans les albums photos. Maître Vanini se trouvait assis entre Marcelle et antoinette. La tiédeur du lieu dépenaille les tenues.

   - C’est peut-être le moment d’offrir not’cadeau ! lance Antoinette.

   - Mais oui ! Renchérit Simone.

   - Vous êtes folles ! Il ne fallait pas ! gronde Marcelle. Hier, ma sœur m’a déjà apporté un cadeau… devinez quoi !

   - Une robe de chambre !

   - Une cocotte-minute !

   Marcelle rigole : - Mais non ! Une machine à espressos. C’est bête ! Chez moi je bois seulement de la chicorée ! Si tu veux Simone, je te la donne.

   Un silence embarrassé suivit cette déclaration. Consternée, Antoinette piqua du nez sur son assiette. Julienne toussa, regarda Simone qui levait les yeux au ciel, puis se décida à sortir le carton enrubanné qu’elle posa devant Marcelle.

  - Vous êtes bien silencieuses mesdames ! dit monsieur Vanini d’un air narquois.

   - C’est drôle… commença Simone qui s’arrêta là.

   Julienne s’interrogeait « laquelle avait eu l’idée de la machine à espressos ? Antoinette, Simone ? ».

   Heureuse comme une gamine, Marcelle défaisait patiemment l’emballage. Elle entrouvrit le carton. Son visage s’illumina.

   - Oh ! Comment avez-vous deviné ?

   Elle en bégayait. Avec précaution, elle mit à jour une superbe « pendule à coucou ». Un chalet au bois délicatement découpé abritait l’horlogerie. Avec des fenêtres aux volets vernis et un balcon à la balustrade finement ajourée sur lequel se tenaient deux personnages en costume tyrolien. Sur le cadran aux chiffres émaillés la grande aiguille marqua quatorze heures. Sous l’auvent un volet s’ouvrit. « cou-cou…cou-cou ». L’oiseau battit des ailes et réintégra son logement.

   Il y eu un moment de stupeur… Juliette en était tourneboulée ; elle avait tout de même bien acheté une machine à café ! Simone en  restait bouche bée.

   Marcelle s’exclama : - C’est épatant ! J’en rêvais depuis toute petite !

   Monsieur Vanini imperturbable lissa ses moustaches et dit :

   - Mesdames… le mystère il est piou intéressante qué la soloutione !

.. …

   Dans le grand lit, Marcelle ne dort pas. Elle s’est couchée de bonne heure. Les gens vont réveillonner. Bientôt une nouvelle année va commencer…

   Elle se sent de jour en jour un peu plus fragile. Comme si elle se trouvait sur une barque que dérive lentement vers le large. Une perle opale se forme au coin de l’œil, glisse et va se perdre aux sillons de la joue.

   « cou-cou… cou-cou ». Le cri comique et joyeux l’a fait sursauté. Il est minuit ! Elle se met à rire. Allons tout va bien, la vie est une extraordinaire aventure ! Joyeux Noël !

                                                      

                                                                           Fin

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16 mars 2009

Le Magicien et les vieilles Dames Marcelle, la

Le Magicien et les vieilles Dames

   Marcelle, la concierge de l’avenue Ledru-Rollin revient du marché. Elle tangue sur ses mauvaises jambes gonflées, balançant un vieux cabas d’où émerge une botte de poireaux. Elle a rendez-vous comme chaque jeudi au tabac du coin.

   Là, elle retrouve ses amies, Antoinette et Simone, pour bavarder devant un apéro. Antoinette, elle, originaire du nord, ne boit que de la bière. Elle tient aussi une loge rue de Lyon. Ce modeste espace est partagé par un chat noir, un lapin, une tortue et un couple de serins.

   Antoinette ne doit pas peser plus de quarante-deux kilos. Un éternel imperméable, des tibias secs piqués dans des bottillons, des cheveux blancs aux boucles jaunissantes encadrant une petite tête fripée comme une pomme oubliée. Toutes trois ont plus de soixante-dix ans.

   Antoinette agite un doigt osseux avec véhémence : - Y n’auront pas un sou ces rapiats là !

Elle parle de sa bru. Les deux autres approuvent…

   - Ah, et pis c’matin, j’ai trouvé mon entrée crottée, ça m’a fichu d’mauvais poil !

   - Ben moi j’ai de la veine, j’ai de bons locataires. Pour la saint Marcel, ils m’ont offert une belle plante verte !

   Simone, la plus silencieuse opine  et annonce :

   - Il est arrivé un nouveau voisin sur mon palier : un monsieur très propre et bien aimable…

   - Dis donc toi, teu vas teud’même pas l’draguer ! S’esclaffe Antoinette.

   Simone hausse les épaules et renchérit :

   - N’empêche, il fait très bon genre avec sa petite barbiche et son nœud papillon.

   - Mais j’l’ai vu ton oiseau ! S’exclame Marcelle, un petit bonhomme qui porte un chapeau et un pardessus noir…

   - C’est bien çà.

   - Il est à la retraite ? Demande Antoinette.

   - J’crois pas. Tous les soirs, il part avec sa mallette…

   - Peut-être qu’il travaille dans un restaurant...

   - Y s’rait pas veilleur de nuit, des fois ? Lance Marcelle.

   Elles rigolent toutes les trois et lèvent leur verre pour trinquer.

…..

   Il était près de midi, lorsque les trois amies se séparèrent. Dans la soucoupe, des pièces de monnaie témoignaient de leur générosité.

   Simone arriva toute essoufflée sur le palier du troisième. Elle posa son cabas pour chercher ses clés. Machinalement, elle tourna la tête vers la porte de son nouveau voisin. Tiens ! Un rectangle de carton rouge se découpait sur le panneau. Intriguée, elle traversa le palier et ajusta ses lunettes pour déchiffrer le texte imprimé en caractères dorés. Elle lut à mi-voix « Signor Anselmo Vanini, Maître de Magie ». Derrière la porte, un cri d’oiseau la fit sursauter. Prestement, elle rentra chez elle. Le verrou tiré, elle s’empressa de téléphoner à Antoinette.

…..

   Le signor Vanini leva les bras. Des mains fines et soignées émergeaient de la blancheur des manchettes.

Son regard pétillant de malice fit le tour de l’assemblée. « - Et maintenant, mesdames et messieurs, nous allons terminer notre petite séance... ».

   Au bout de ses doigts apparut une fine baguette rouge. Il souffla sur l’une des extrémités. La baguette se mit à raccourcir et à gonfler pour former un cylindre qu’il plaça sur sa tête. Tout le monde reconnut alors une chéchia agrémentée d’un pompon.

   Après avoir salué il l’ôta, fit constater que l’intérieur était vide et la posa sur la nappe blanche. Il claqua des doigts, souleva la chéchia. Un perroquet rutilant. L’oiseau examina les spectateurs d’un œil rond, ébouriffa ses ailes et ouvrit le bec : « Vaniniii est le plus grrrand…le plus grrrand… ».

   - Merci, vous me flattez monsieur Toto !

   Le magicien recouvrit le bavard, lissa sa moustache. Puis d’un air distrait souleva à nouveau la chéchia. Les dames poussèrent un petit cri en se reculant : Vanini intrigué baissa les yeux vers la table : « - Ma faites excuse signoras ! C’est une erreur… ». Sur la nappe, une souris assise sur son derrière, dressait un museau pointu et renifleur ! Il la fit prestement disparaître sous la rouge coiffe. S’en saisissant alors, il la retourna et s’avança vers le public à demi rassuré. Plongeant la main dans la chéchia il en sortit une à une de magnifiques orchidées qu’il offrit à chacune des dames présentes.

8 mars 2009

Souvenir de Tipasa Toi l’algéroise qui porte au

Souvenir de Tipasa

Toi l’algéroise

qui porte au creux des reins

le gravier blanc des plages

te souviens-tu de ce jour où

las de courir

à la frange des vagues

je te pris la main

et que nous sautâmes à pieds joints

la Méditerranée.
Je te menai rageur

jusque sur Notre-Dame

où des gargouilles hideuses

lèchent les vents du nord.
J’ouvris le poing sur la nuit

jetant des pierres

qui mirent le ciel à bas.

Et mes cailloux luisaient

clignoteurs innombrables.
De grands diables couvreurs

changèrent le zinc

pour de l’or mycénien

et les toits suspendus

aux grandes cheminées

en ponts interminables

avec des flambeurs fauves

joignirent les points cardinaux.

1 mars 2009

Super-nana Du ciseau de ses longues jambes, Elle

Super-nana

Du ciseau de ses longues jambes,

Elle coupe les hommes en deux.
Elle descend un escalier d’or,

Danse sur des dollars,

Tambourine de ses ongles cerise

A la portière des Rolls.

Dans le drugstore souterrain,

Sa bouche chuchote

Irish coffee.

Près du bar sombre

Aux vitraux de flippers,

Un indien debout contre le mur

Exhale un serpent de fumée,

L’œil luisant sous la paupière mi-close,

Un diamant à l’oreille.

Dans la nuit du drugstore,

Sonnée sur un sofa.
Un play-boy a jeté

Des paillettes brûlantes

Sur tes paupières bleues

27 février 2009

Mélanie Cahouette - Saleté d’pigeon ! Ramène-moi

Mélanie Cahouette

    - Saleté d’pigeon ! Ramène-moi une éponge et une cuvette d’eau !

Mamie Bouton et sa petite fille – qui allait sur ses vingt six ans – étaient déjà installées à l’intérieur de la voiture. Madame Bouton qui s’apprêtait à embarquer, laissa la portière ouverte.

    - Tu crois que c’est le moment ! On va tomber dans les bouchons !

    - Dépêche-toi ! La merde de pigeon ça bouffe la peinture !

    Monsieur Bouton, furieux, scrutait le toit rutilant de son « Opel Omega ». Là, au beau milieu, s’étalait une fiente sacrilège ! Une voiture toute neuve qui raccourcirait les vacances de la famille pour les cinq années à venir. Sans compter le reste …

   En soufflant, son épouse se décida à remonter à l’appartement. Le cocker se mit à aboyer .

   - Tais-toi  Igor, tu vas réveiller les voisins !

   Au bout d’un moment, monsieur Bouton consulta sa montre «- cinq heures du matin, bon Dieu on devrait être sur l’autoroute ! ».

   - Ah, quand même !

   - T’es marrant toi, il a fallu que je r’ouvre l’eau !

   Son mari saisit l’éponge et se mit à frotter doucement la souillure. Il lui fallut une dizaine de minutes pour en venir à bout. Convenablement essuyé, le toit retrouva son poli impeccable. Avant de s’installer au volant, il lança un regard menaçant vers le ciel.

    L’autoroute A 13 commençait à s’engorger. La météo prévoyait une journée caniculaire.

   - Regard-moi ce connard ! éructa monsieur Bouton, non mais tu as vu çà !

   - Mhuuumm…

    Madame Bouton perdue dans ses pensées, affichait un air de jubilation : « la tête de madame Miniou quand son mari avait garé la nouvelle voiture devant l’immeuble ! La mère Miniou n’avait pu réprimer une grimace de dépit, vite remplacé par un sourire en biais. «  – Oh c’est une belle auto ! Mais dites ça ne doit pas être commode à garer à Paris ! ».

    Ils avaient bonne mine avec leur « Clio » qui devait bien avoir dix ans !

    - Oh, monsieur Bouton fait très attention ! Mais excusez-moi, madame Miniou, il faut que je vous quitte, j’ai les valises à préparer ! Oui, on va passer une quinzaine en Normandie… c’est pas du luxe, on en a bien besoin ! André a fait installer la « clim » dans la voiture, c’est bien agréable, surtout que l’on emmène maman ! C’est un peu cher, enfin André a eu une promotion… allez Igor ! en voiture…

   La mère Miniou en était restée comme deux ronds de flan.

   

   Au triangle de Rocquencourt, la circulation se trouva fortement ralentie. Madame Bouton calée confortablement dans son siège se retourna : -  Manman, ça va ?

    - Elle roupille, annonça Nathalie qui se remit à mastiquer son chewing-gum.

    En effet, la mamie s’était assoupie, laissant échapper entre ses lèvres minces un bruit de petits pets.

     Monsieur Bouton augmenta la tonalité de la radio pour écouter « Bison futé ».

    - Papa, tu pourrais t’arrêter ?

    - Pourquoi ? On n’a pas fait trente kilomètres !

    - Tu veux que j’te fasse un dessin ?

    - Bon Dieu ! Tu aurais pu prendre tes précautions avant de partir ! C’est toujours la même chose… attends un peu. Je m’arrêterai pour faire de l’essence.

    Vers huit heures, ils dépassèrent Mantes la jolie. Monsieur Bouton espérait arriver au Bec Helloin aux alentours de onze heures. En fait, ils n’y arrivèrent qu’une heure plus tard à cause d’un accident. La gendarmerie laissait la passage sur une seule voie, ce qui provoquait un interminable bouchon. Les pompiers se trouvaient sur place.

    - Regarde-moi çà ! la bagnole est sur le toit ! Devaient rouler comme des dingues !

     Madame Bouton soupira : - Si c’est pas malheureux des vacances qui vont se terminer à l’hôpital, si c’est pas pire !

La fille Bouton, le nez agitait ses mâchoires sur un rythme accéléré. Elle baissa la glace.

    - Arrête ! Et la clim, alors ! S’indigna le père Bouton.

    Une bouteille en plastique à demi- vide avait roulé sur le bitume, près du rail de sécurité. La voiture qui les précédait la fit éclater avec sa roue arrière.

…..

      Monsieur Decatoire, maire de Coigny-les-Meurettes se frottait les mains de contentement. Sa minuscule commune connaissait la gloire ! L’argent affluait de tous côtés, (merci à messieurs, mesdames les journalistes avides de sensationnel).

   Il avait fallu transformer un champ en parking. Un parking payant. Comme disait son neveu : « dix mètres carrés de ciment en sous-sol à Paris rapportent plus qu’un hectare cultivé à la campagne ».

    Il aperçut son adjoint Rappaport qui lui faisait signe. Se frayant un passage parmi la foule endimanchée. Serrant une main de ci de là, il parvint jusqu’à l’estrade.

     - Comment allez-vous mon cher ami ? Alors tout est prêt ?...

     - Tout est en ordre. Le docteur Picheau m’a assuré que tout allait bien. Je crois que cette fois, nous allons battre notre record !

     - Parfait ! Mon cher Maurice… j’ai une bonne nouvelle à vous annoncer. La « Sogecienne » a signé un contrat pour deux ans, et je vous prie de croire que ce sera juteux !

…..

     Sur la départementale, monsieur Bouton roulait à petite vitesse. Ils avaient mangé un morceau au restauroute. Des aigreurs d’estomac lui faisaient regretter d’avoir pris une « francfort frites ».

     Juste à la sortie de l’autoroute, des gendarmes l’avaient fait stopper. Un simple contrôle de routine. Monsieur Bouton avait présenté ses papiers d’un air serein. Glissé à côté de la carte grise, un certificat de membre bienfaiteur des orphelins de la côté de la carte grise un certificat de membre bienfaiteur des orphelins de la gendarmerie prédisposait à l’indulgence… les cents euros versés constituaient un excellent investissement.

…..

     Mélanie Cahouette fêtait son cent vingtième anniversaire aujourd’hui ! Depuis la veille, les grandes chaînes de télévision et les radios investissaient la place.Toutes sortes de sponsors affichaient leurs marques sur des banderoles tendues entre des mâts. Des stands avaient été montés sous les platanes. Des amplis diffusaient une musique criarde entrecoupée de messages publicitaires. Devant la mairie, l’estrade, ombrée d’une toile rayée de bleu et de blanc, s’ornait de guirlandes et de drapeaux tricolores.

     Sous la surveillance rapprochée de  du docteur Picheau, la centenaire se maintenait. Bien sûr, elle ne quittait pas sa chaise roulante, mais la tête allait toujours. Ses réparties caustiques faisaient le bonheur des médias. « Elle est pleine d’humour ! Rendez-vous compte à son âge ! ».

     Des produits de toute sorte s’étaient mis sur orbite ; une marque de produits laitiers, des produits de soins corporels, une marque de papier hygiénique, un siège de relaxation, un produit pour appareils dentaires, une marque de matelas, des recettes de cuisine… Par contre, les marchands de bien immobiliers accusèrent un net ralentissement des ventes en viager. Un livre allait paraître sous peu « Faut pas pousser Grand-mère ! ».

                                                                                  …..

     La fille Bouton n’offrait pas ce que l’on pourrait appeler un visage avenant : la mâchoire trop longue constamment occupée à mastiquer, des cheveux raides tirant sur le roux, des yeux gris et froids derrière le verre de lunettes métalliques. Plutôt grande, maigre et plate, elle avait la démarche saccadée, les coudes collés au corps. Ses collègues la taxaient de radinerie. Elle appartenait à la profession détestée des contractuelles.

     D’un caractère rancunier, elle vouait aux automobilistes –masculins en particulier- une haine rentrée. Confrontée en permanence aux sarcasmes et aux insultes, ce ressentiment s’amplifiait au fil des mois : « il fallait les voir, un sourire mielleux aux lèvres – vous n’allez pas m’aligner… je pars tout de suite ! Ils ouvraient leur portière… elle imperturbable détachait le PV, le glissait tranquillement sous l’essuie-glace. Alors, la portière claquait rageusement. Le contrevenant lâchait entre ses dents l’injure suprême : mal baisée ! ».

    Son affection se bornait exclusivement aux chats. Son petit deux-pièces en hébergeait quatre, parfois une demi-douzaine. Son voisin de palier qui lui fit un jour une remarque sur « des odeurs » se heurta à une sévère rebuffade. Philosophe et peu enclin à la guerre, il se retira en pensant qu’une société qui faisait tant de cas des animaux ne pouvait être bonne pour l’homme !

…..

     La foule se pressait derrière les barrières. Beaucoup de parisiens et de touristes. Une chaleur écrasante amollissait les gestes. Mélanie allait faire une apparition. Sur le pignon d’une maison une grande affiche montrait la populaire vieille dame brandissant une bouteille d’huile. En gros caractères, on pouvait lire : Je n’utilise que la bonne huile Choupy !

     - Vite ! Germaine, on va la rater !

     Les Boutons contraints, faute de place, de laisser la voiture en bordure d’un champ, hâtaient le pas en trébuchant sur les mottes de terre. Igor courait en tous sens. La mamie, laissée dans l’auto – avec sa canne elle n’avançait pas – pouvait continuer à dormir. La clim stoppée, on avait pris soin d’abaisser un peu les glaces.

     Monsieur Bouton joua des coudes, suivie de sa fille. Son épouse, handicapée par ses rondeurs, perdait du terrain. Ils finirent de haute lutte par se retrouver dans les cinq premiers rangs.

     «  - La voilà ! ».

     Toutes les têtes frémirent en une grande vague ondulante. Sur la pente, là-bas, précédée de deux motards, apparut une fourgonnette auréolée d’une poussière dorée.

C’était bien elle ! La fanfare entama une marche triomphale. Les cuivres étincelaient au soleil. La fourgonnette effectua une lente marche arrière pour s’arrêter sur le côté à hauteur de l’estrade. Les portières arrière furent ouvertes. Sur sa chaise roulante, la vieille dame se tenait raide, la tête légèrement inclinée sur l’épaule. Un tonnerre d’applaudissements éclata…

      Deux gaillards aux gros bras amenèrent la chaise au milieu de l’estrade. Le docteur Picheau se plaça en retrait. Un personnage barbu, probablement un assistant, vint se placer près du docteur.

      Le maire, écharpe en bandoulière, salua la foule. Un speaker leva son micro : «  - Mesdames, messieurs, en présence de monsieur le maire, nous sommes heureux de fêter ce mémorable anniversaire ! Nous sommes très fiers de notre doyenne… elle est formidable ! On l’applaudit !

     Lorsque les bravos s’espacèrent, le speaker reprit la parole : - Mélanie, des millions de téléspectateurs sont devant leur poste ! Vous allez bien leur dire quelques mots… tout d’abord, Mélanie comment allez-vous ?

     - Oh bé… j’ai pas à me plaindre…

     - Elle est fantastique ! Mais dites-moi nous savons qu’un livre va paraître ; est-ce que vous y révéler le secret de votre vitalité ?

     Mélanie leva une main noueuse, piqua à trois reprises son index sur sa poitrine desséchée :

     - Le secret… c’est çà !... c’est le cœur !

     La foule applaudit à tout rompre. Monsieur Bouton en bras de chemise, lança un coup de coude à son épouse : - Hein, ça valait le détour !

     Nathalie resta un moment la mâchoire pendante : - Elle est trop la mémé !

    - Un dernier mot Mélanie ! Pour tous vos admirateurs !

    - Je leur souhaite… une bonne santé et j’espère qu’ils reviendront me voir l’année prochaine…

     La foule se déchaîna, enthousiaste. La vieille dame fut rangée près du fauteuil du maire sous un grand velum où l’air était rafraîchi par des brumisateurs.

     Le spectacle dura deux heures : chants, danse, magie se succédèrent. A la fin de chaque numéro, Mélanie battait lentement des mains. On finit par apporter un énorme gâteau orné de glaces multicolores et illuminé de bougies.

     Les Boutons reprendraient la route en fin d’après-midi. Ils se rendaient à Livarot où une sœur de Germaine devait les héberger pour la semaine.

     Pour la plupart, les gens repartaient avec un souvenir. On s’arracha les sachets d’infusion « Bonne nuit de Mélanie » vendus par boîtes de vingt-quatre. Le stock épuisé, les clients passèrent commande…

     Monsieur Rappaport, jubilant, serrait la main de son ami Décatoire.

…..

      L’Omega glissait silencieusement sur la nationale. Mamie Bouton eut droit à quelques échos de la fête. A cause de sa surdité, elle les fit répéter à plusieurs reprises. Monsieur Bouton qui supportait difficilement sa belle-mère, frémit à l’idée qu’elle pourrait suivre les traces de Mélanie Cahouette. Ce serait terrible ! Alors que leurs affaires s’arrangeaient : lui à cinquante-deux ans, devenu chef de rayon aux magasins Byron, son épouse, employée aux finances en préretraite… ce n’était pas le Perou, mais confortable. Et puis les deux chambres de bonne louées un bon prix…

…..

     Le village de Coigny-les-Meurettes s’était assoupi. Pourtant, au loin, dans la vaste propriété du docteur Picheau, de la lumière filtrait sous les volets de fer.

     Dans le salon, le docteur savourait un vieux calva. Monsieur Rappaport fumait un havane. L’homme barbu qui avait accompagné le docteur lors de la cérémonie se tenait agenouillé, fouillant dans une sacoche posée sur le sol. Le bon public eut été ahuri de voir Mélanie, là aussi, immobile dans sa chaise et nullement incommodée par l’odeur du cigare. L’homme barbu se redressa, souleva la vieille dame et la posa sur un tabouret. Il lança en direction des trois autres : - J’ai eu chaud cet après-midi ! Quand elle a gardé le bras en l’air. J’ai cru qu’elle s’était bloquée !

     Ajustant un long tournevis, il démonta une plaque rectangulaire fixée dans le dos de la vieille. L’ouverture laissa apparaître tout un réseau de fils. Délicatement, à l’aide d’une pince, il en retira un circuit imprimé. Le maire se tourna vers le docteur Picheau :

      - A votre avis, on peut la faire durer encore combien de temps ?

     - Hummm… guère plus d’une année je le crains. Je ne pourrais pas éternellement faire lanterner les gérontologues qui sont avides d’examiner notre poule aux œufs d’or.

                                                                    FIN

24 février 2009

Signaux de détresse Le soir, dans les HLM, les

Signaux de détresse

Le soir,

dans les HLM,

les petits enfants

parlent avec les génies.

Allongé sur la pirogue

de tes hanches étroites

je vogue sur un fleuve irisé.

Les cavaliers 

venus de la nuit

portent la mort

aux reflets bleutés

de leurs fusils

Lumière bleue,

lumière jaune,

entre télé et frigo.
Solitude glacée,

heures violettes,

couleurs vénéneuses

des néons.

On se couche

comme on se glisserait

dans l’eau.
Pourtant,

on se réveille

blessé à jamais.

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